samedi 26 octobre 2013

Mélusine





Par un beau soir nimbé de brume, le prince Hicham chevauchait le long d’une rivière qui serpentait dans la plaine. Il tomba soudain en arrêt devant un arbre qui abritait dans ses frondaisons une femme d’une grande beauté.
Pris d’un désir irrésistible, il lui envoya son gant, rêvant d’un geste similaire mais la belle ne répondit pas à ses avances.
Déçu, il revint promptement en son château, dîna frugalement de pain et de fromage, but quelques gorgées d’un vin frais et se coucha rapidement, non sans avoir laissé sa fenêtre grande ouverte.
Dans la nuit, sentant une chaude présence à ses côtés, il alluma une chandelle et reconnut avec bonheur la femme tant désirée. Il l’aima fougueusement, le désir renaissant à chaque instant car la belle répondait à ses caresses avec infiniment d’ardeur.
Au lendemain, il la contempla longuement, fit une toilette rapide, commanda un petit déjeuner copieux.
Mais lorsqu’il revint, elle avait mystérieusement disparu, laissant dans la chambre une odeur de prairie et de rivière.
Le prince fit seller son cheval et prit la direction empruntée la veille. Il exécuta plusieurs parcours le long de la rivière mais l’arbre de la veille avait disparu, laissant un buisson de fleurs pourpres à sa place. Il en cueillit une brassée, les confia à une personne de sa suite qui avait jugé bon de veiller sur lui.
On dressa une tente et chacun s’ingénia à distraire le maître de sa mélancolie. Le plus charmant des pique-nique lui fut présenté : pâtés en croûte, ailes de volaille en gelée, gâteaux crémeux, assortiment de fruits divers en auraient charmé plus d’un et finalement le prince succomba à ces tentations gourmandes, rêvant d’un jour où sa belle Mélusine lui reviendrait.
Le nom de Mélusine lui était venu spontanément. Un conte de sa nourrice émergea des replis de sa mémoire. Venue des brumes, une jeune beauté avait séduit un prince et elle avait accepté sa demande en mariage à une seule condition : qu’il ne cherche pas à la voir le samedi. Son frère ayant aiguisé sa jalousie, il avait rompu le serment en observant la princesse par le trou de la serrure. Elle prenait son bain et alors qu’elle était toujours aussi sublime, elle déployait une queue de sirène. Elle vit son prince dans le miroir qu’elle tenait à la main, poussa un cri d’effroi, se précipita vers la fenêtre et, des ailes lui poussant opportunément dans le dos, s’enfuit en proclamant son amour perdu sous la forme de sanglots.
Mélusine, ma belle Mélusine murmura le prince si tu veux m’honorer de ton amour, je jure de ne pas chercher à te voir si tel est ton bon plaisir.
Il ordonna à son écuyer de porter les fleurs au château et d’en orner sa chambre.
Il réclama une pelisse bien chaude et des coussins, désirant dormir près de la rivière au cas où la belle Mélusine souhaiterait son étreinte. Des jours, des nuits passèrent et le prince finit par se résigner à regagner son château, les nuits devenant de plus en plus fraîches.
Enfin alors qu’il était habitué à l’idée de ne jamais la revoir, il vit arriver au château cinq beaux enfants qui lui ressemblaient et qui avaient dans les yeux les points d’or de la sirène.
Que s’était-il réellement passé ? Il ne trouva jamais la réponse mais éleva avec amour les trois petits princes et les deux jolies princesses que Mélusine lui avait légués !

mercredi 16 octobre 2013

La grotte céleste





Sur les berges d’une rivière où naissaient des fleurs de lotus, un prince à la peau couleur d’ambre cheminait, des poèmes sur les lèvres. Il lui en venait comme les perles d’un collier fabuleux et il s’imaginait que ces strophes enchantées, enchâssées au cœur de bijoux aux reflets d’orient pouvaient orner les forêts avoisinantes.
Fourbu d’avoir ainsi laissé dériver ses pensées, il fit une halte dans un bouquet de saules et s’endormit. À son réveil, il chevauchait un hippocampe et des sirènes l’entouraient pour lui chanter des airs divins. Il se laissa choir, au bord d’une grotte où l’attendait la créature la plus ravissante qu’il eût jamais vue. Heureux de cette rencontre, le prince offrit à la belle un collier dont la beauté était à l’aune de ses rêves.
La jeune fille accepta ce présent avec reconnaissance et entoura son admirateur d’une pelisse de soie chamarrée.
Les jeunes gens échangèrent d’aimables propos puis ce fut une joute poétique de la plus haute facture.
Les fées et les lutins qui servaient le couple royal, apportant entremets à la rose, nids de légumes fondants où brillaient des œufs de cailles, emportaient ces bribes poétiques comme d’ineffables joyaux.
Quelques mois plus tard, le prince emmena sa bien-aimée dans son palais et ce furent des festivités dignes d’une reine qu’elle devint pour la joie de tous.

mardi 8 octobre 2013

L'opale





Sur le satin de ta joue, j’ai vu glisser une larme en forme d’opale. C’était un bijou si précieux que j’en ai oublié le motif de ma venue, était-ce pour un dernier adieu ou un serment d’amour ? Qui peut le dire ? L’oiseau des collines bleues en sait peut-être plus que moi-même sur l’état de mon âme.
J’ai tant souhaité posséder une opale que j’ai délibérément quitté l’amour de ma vie, l’amour fou, celui qui jette les amants dans une mer furieuse où de hautes vagues menacent d’engloutir des villes enchantées.
L’opale a éclaté en mille larmes qui ont libéré mon cœur des souvenirs perdus, enfouis dans le sable des fontaines taries gisant au milieu du désert.
Une deuxième larme en forme d’opale a glissé sur ta joue, d’une si grande pureté que j’aurais pu t’oublier mais cette fois je ne me suis pas laissée prendre au mirage des pierres et j’ai caressé ta joue pour la faire disparaître découvrant enfin qu’un grand amour ne se laisse pas acheter par un bijou.

jeudi 3 octobre 2013

Pluie de soie





Il était une fois un jeune homme dont les cils étaient si longs que lorsqu’il fermait les yeux, une double porte de soie tombait sur ses joues.
Il finit par s’isoler tant il y avait de curieux pour venir le voir. Certains mêmes s’enhardissaient jusqu’à vouloir toucher les précieux ornements.
Il se retira dans une forêt et habita une chaumière isolée, se nourrissant de la pêche quotidienne dans une rivière proche. Un jour, alors qu’il se reposait sur une roche inondée de soleil, un peintre passa et profita de la rêverie du jeune homme pour faire son portrait. Il s’éclipsa et porta la précieuse aquarelle au château où une jeune princesse se mourait de n’être pas aimée.
 Le portrait l’enflamma et elle décréta qu’elle épouserait ce jeune homme si son père y consentait et l’élevait au rang de prince. Le roi, content que sa fille quitte cette langueur mortelle, accéda à ses désirs et c’est ainsi que sur les indications du peintre, une délégation princière surgit dans la clairière où le jeune homme vivait en ermite. Il fut emmené avec beaucoup d’égards et présenté à la princesse, près de la margelle d’un puits en un jardin d’amour. Des servantes s’affairèrent pour offrir au couple ce que les cuisines royales contenaient de meilleur, une pastilla de pigeons et d’amandes, un assortiment de légumes savamment préparés et crèmes diverses en guise de dessert. Des carafes d’eau pétillante à la rose étaient à leur disposition.
Les amants mangèrent peu, goûtant à tout pour faire honneur aux cuisiniers, se régalèrent d’eau parfumée et tombèrent enfin dans les bras l’un de l’autre. Seule la tombée de la nuit les sépara.
Le lendemain, une pluie de soie tomba sur le royaume et chacun se mit à collecter cette précieuse manne pour en faire des tissus prestigieux.
Ce fut le signe indéniable que le prince Azur, ainsi fut-il nommé par le roi, était une bénédiction pour le royaume. Le mariage fut célébré avec magnificence et bientôt princes et princesses se bousculèrent dans le jardin d’amour en riant aux éclats mais aucun enfant n’arbora le signe prestigieux du prince Azur dont la porte de soie fut réservée à son épouse !