jeudi 31 janvier 2013

La princesse aux yeux de source



Cachée dans les roseaux où elle collectait des œufs de mouette prisés par sa grand-mère, la princesse Aminata aperçut un voilier. Lorsqu’un groupe de matelots eut jeté l’ancre et qu’un canot se propulsa en direction du rivage, elle se fit toute petite. Un soir, à la veillée, le marabout du village avait eu une vision terrifiante : des hommes blancs venus de la mer apporteraient le malheur sur leurs côtes. Les jeunes gens du village porteraient des chaînes et des colliers de fer, les jeunes filles seraient rudoyées. On les marquerait comme du bétail avec un fer rougi sur les braises. Une
odeur de chair grillée se répandrait dans le village et les mères n’auraient plus que leurs yeux pour pleurer. Les hommes d’âge mûr ne seraient pas aptes à affronter les blancs qui avaient des engins crachant le feu. Quant au chef, malgré toute sa sagesse et son courage, il ne pourrait rien faire pour enrayer le cours de l’histoire.
Ils deviendraient des esclaves, c’était écrit dans les vapeurs de l’eau sacrée et dans les entrailles d’un jeune coq fraîchement sacrifié. Aminata et ses amies, Nandi, Natou, Amina et Makedah avaient senti des frissons parcourir leur échine à cette terrible évocation. Mais les jeunes gens bombèrent le torse, fiers de leur musculature et rirent sous cape des propos du marabout qu’ils tenaient comme hautement fantaisistes. Celui qui leur passerait un collier de fer autour du cou n’était pas né !
Aminata que ses amies nommaient Princesse aux yeux de source tant son regard était profond et lumineux se recroquevilla dans les roseaux, retenant sa respiration. La prédiction était en train de se réaliser ! Elle ne vit de ces ravisseurs présumés qu’une silhouette certes avantageuse mais dotée d’engins qu’elle n’avait jamais vus et qui pourraient être ces cracheurs de feu décrits par le marabout. Le petit groupe se dirigea vers le village.
Terrorisée à la perspective de voir la prédiction se réaliser point par point, Aminata se pelotonna dans les roseaux qui lui servaient à la fois de cache et de berceau. Elle somnola puis fut tirée de sa torpeur par des cris de douleur, des hurlements sauvages et des claquements secs. Ahurie, elle eut la terrible surprise de voir enchaînés ses amies et les jeunes gens du village si fiers de leurs forces. Les pieds entravés et le cou enserré dans un collier de fer, ils marchaient, hébétés, subissant les coups d’une fine lanière de cuir qui zébraient leurs corps de stries rouges. Un canot supplémentaire les attendait sur le rivage. Les hommes cruels riaient et certains se permettaient des gestes grossiers vis-à-vis des femmes.
Tout le monde arriva auprès du navire, monta à bord et bientôt les alizés soufflèrent dans les voiles, emmenant ce bateau maudit dans une direction inconnue.
Plus morte que vive, Aminata revint au village et ce qu’elle vit la consterna. Des reliefs de repas étaient dispersés dans la poussière. On entendait les cris de douleur des femmes. Quant au chef et aux hommes de son entourage, ils étaient hébétés, faisant rouler entre leurs doigts des colliers de verroteries. Apparemment le chef s’était laissé abuser par la feinte amabilité des serviteurs.
Des traces de piétinements sur le sol laissaient à penser que les jeunes gens ne s’étaient pas laissés prendre avec facilité. Aminata ramassa avec tristesse le châle de fête de son amie Natou. Pour rien au monde, elle ne l’aurait ainsi abandonné. Des larmes ruisselèrent de ses yeux et c’est avec surprise qu’elle les vit se transformer en perles blanches et roses, les noires formant de petits soleils grâce à des reflets d’or.
C’est un véritable trésor qui s’échappa de ses yeux, se nichant dans le châle de Natou.
Jamais Aminata n’avait autant mérité son nom de Princesse aux yeux de source. Elle accepta ce don venu du ciel comme un signe annonciateur de la délivrance prochaine des enfants du village.
Négligeant les cris de joie qui avaient accueilli son retour et le cadeau céleste dont elle était gratifiée, elle déposa son précieux trésor sur les genoux du chef et se mit au travail. Elle ne se redressa qu’une fois la tâche achevée. L’aire du village était redevenue propre et pimpante comme à l’accoutumée.
Elle mangea quelques galettes de miel, but de l’eau fraîche et partit dignement dans sa case, déterminée à trouver le moyen de sauver ses amis. Elle s’endormit apaisée. Éveillée par une lueur, elle vit que la lune brillait avec éclat. Elle semblait l’encourager. Des voix amies vinrent lui affirmer qu’elle retrouverait indemnes ceux qui avaient été emmenés comme captifs. Rassurée par ce rêve prémonitoire, elle se rendormit et s’éveilla à l’aube.
Accueillant les rayons du soleil comme un signal de la libération prochaine de la fine fleur du village, Aminata prépara le premier repas avec entrain. Boulettes de manioc cuites dans un bouillon de poule, brochettes de fruits, breuvage aromatisé aux fleurs d’hibiscus dégagèrent bientôt des effluves parfumés. Aminata prépara deux plateaux individuels qu’elle porta au chef puis à sa grand-mère qu’elle chérissait d’autant plus qu’elle était orpheline.
Elle organisa ensuite une tablée pour le village amputé de sa jeunesse à sa seule exception. Le repas se déroula dans une atmosphère apaisée. Certes les jeunes avaient été enlevés et emmenés avec barbarie mais il leur restait leur incomparable princesse aux yeux de source. Cette sagesse fut suivie d’effets car des chants retentirent au loin. La voix de Natou reconnaissable entre mille puisqu’elle rivalisait avec le chant des oiseaux dominait le chœur des hommes, puissant et magistral.
Non, ils ne rêvaient pas, les jeunes étaient de retour au village ! À leurs côtés, il y avait un homme, un blanc. Il était seul et souriait. Il se présenta au chef du village en lui révélant qu’il était un corsaire breton. Son nom, Gwendal Le Dantec résonnait sur les mers à la manière d’une menace pour les négriers. Il avait quitté les remparts de Saint-Malo pour commercer, fût-ce par la force. Il détestait ces hommes qui s’enrichissaient au détriment d’autres êtres humains, sous prétexte que la couleur de leur peau était différente.
Croisant le navire négrier, il avait ouvert le feu après les sommations d’usage. Découvrant les jeunes gens alignés à fond de cale, les fers aux pieds, il avait ordonné à ses hommes de les libérer et de les prendre à leur bord. Les négriers avaient été tués au sabre sans pitié dans un corps à corps sauvage qui avait causé quelques pertes chez les corsaires, des blessés également. Enfin il avait ordonné de mettre le feu à ce navire de malheur après avoir emporté sa cargaison, des monceaux de colliers de pacotille pour servir de monnaie d’échange, des barils de vin de Cahors, des barriques de poissons séché et des sacs de riz.
Le chef remercia le corsaire avec émotion et l’invita à partager un repas mais Gwendal déclina l’offre, acceptant seulement une tasse de breuvage parfumé.
Il sollicita ensuite du chef une récompense monnayable car il était commerçant et devait payer son équipage.
Le chef regarda Aminata qui cligna de l’œil en signe d’assentiment. Il rentra dans sa case et déposa les perles dans un récipient de terre cuite.
Les perles étincelaient au soleil. « À ce prix-là, dit Gwendal, je me ferai fort de libérer tous les esclaves détenus par les négriers ! ». Il les fit rouler dans sa paume, admiratif et interrogateur. D’où provenaient ces merveilles ? « C’est notre secret » dit le chef avec retenue.  Gwendal croisa le regard d’Aminata et crut y lire une réponse : des yeux aussi beaux étaient sans doute à l’origine de ce trésor inestimable.
Pensant qu’il obtiendrait peut-être une réponse en tissant des liens d’amitié avec le village et sa princesse en particulier, Gwendal mit la main sur son cœur, inclina la tête en signe de respect et prit congé du chef et du village désormais en liesse.
De retour au navire, il dépêcha une petite délégation chargée d’offrir au chef quelques colis précieux : il y avait là des soieries de Madras prises aux Anglais, leurs rivaux, des faïences de la ville de Quimper, de la toile de chanvre pour faire des sacs, des gilets brodés pour les hommes du village. Un cadeau était destiné à la princesse : c’était un costume breton avec une coiffe de dentelle, des gants et un magnifique tablier de velours parsemé de fleurs qui éclataient comme de petits soleils.
La joie des villageois fut totale. Le chef serra les mains des matelots avec effusion. À la vue du costume qui lui était destiné, Aminata sentit des larmes perler au bord de ses cils étoilés. Elle se détourna pour que l’on ne voie pas les perles tomber une à une au creux de sa main mais ce geste n’échappa pas au second du capitaine, le noble Aymeric Le Bihan dont les yeux bleus étaient aussi profonds que les flots.
La délégation repartit rapidement. Mis au fait de la source miraculeuse des perles, Gwendal remercia son second et se jura de revenir un jour demander la main de la jolie princesse. Mais c’était sans compter sur la sagesse du chef et du marabout. Ils décidèrent d’un commun accord de partir à la recherche d’un espace éloigné de la mer, au cœur d’une forêt. Les négriers reviendraient et il n’y aurait pas toujours de navire corsaire pour sauver la jeunesse du village.
De plus, le regard perçant d’Aymeric n’avait pas échappé au chef : aujourd’hui les corsaires étaient leurs amis mais qu’en serait-il demain ? Le commerce menait souvent à la cupidité.
C’est ainsi que lorsque le bateau corsaire revint mouiller sur la côte, l’expédition revint bredouille : il ne restait rien du village où régnait une princesse merveilleuse.
Le poète de l’équipage en fit une romance que les marins chantèrent en breton. Gwendal sculpta une figure de proue à l’effigie de la reine de son cœur et rebaptisa son navire du nom de Princesse aux perles !
Quant à la jeune beauté dont tout le monde rêvait, elle se maria dans son village et mit au monde de beaux enfants dont une petite fille qui lui ressemblait trait pour trait.
De plus, lorsqu’elle atteignit ses quinze ans, fêtée par tous et fiancée à l’adolescent le plus fier du village, elle versa quelques larmes qui cascadèrent en un flot de perles : la Princesse aux yeux de source était de retour !

mardi 29 janvier 2013

L’île oubliée




Alors qu’il admirait un banc de dauphins qui bondissaient autour de l’Hirondelle, le Trois-Mâts légendaire de sa famille, Florian fut emporté par un paquet de mer et se retrouva sur le dos d’un dauphin.
Certes il n’était pas peu fier de connaître une aventure similaire à celle d’Arion, célèbre dans la mythologie grecque mais il craignait de se voir projeté dans les fonds marins. Il se cramponnait à son destrier aquatique et répondait à ses cris par des onomatopées qui se voulaient amicales.
Parvenu au large d’une île, le dauphin sauveur l’expulsa d’un coup de rein et lui adressa une multitude de cris amicaux.
 Le garçonnet nagea jusqu’à la lisière d’écume et marcha sur le sable avec une joie intense. De magnifiques coquillages attirèrent son regard mais il reporta l’exploration de la plage : il était nécessaire avant tout de se trouver un abri.
Par chance, il avait gardé ses sandalettes de cuir souple et ses pieds ne souffraient pas du choc des galets. Après avoir progressé une bonne heure, il eut l’agréable surprise d’aborder une zone ombragée par des pins parasols.
Le sol était tapissé d’aiguilles odorantes et bientôt des blocs de marbre se profilèrent dans un paysage qui rappelait le dépouillement des estampes japonaises. Une grotte accueillante, ornée de fleurs et de fruits en grappes semblait lui faire signe. Florian ne bouda pas cette invitation et découvrit une pièce meublée et tapissée avec goût. Des livres superbement reliés étaient rangés dans une anfractuosité de la roche. Florian feuilleta l’île Mystérieuse de Jules Verne. Il s’assit sur un fauteuil de rotin et lut quelques pages jusqu’à ce que le sommeil le gagne.
Lorsqu’il se réveilla, la nuit était tombée et des sortes de soupirs s’exhalaient d’une masse sombre. Au petit matin, Florian découvrit qu’il s’agissait d’une panthère. Elle portait un collier d’or autour du cou et on pouvait lire sur une plaque un nom : Alba[1]. Trouvant le jeu de mots amusant, Florian sut qu’il avait désormais une amie puisque Alba se montra affectueuse à son égard. Décidé à en savoir plus sur l’environnement de son refuge, il quitta la grotte protectrice. Alba l’accompagnait. Sur son chemin, il repéra quelques trésors, des œufs d’oiseaux marins et des fruits appétissants qu’il rassembla dans son foulard. De quoi ne pas mourir de faim ! Un coffre semblait abandonné. Florian l’ouvrit et ce fut un émerveillement : une cascade de bijoux, des pièces d’or et surtout pour un intérêt immédiat, des pièces de tissu et des costumes dont l’un était à sa taille, des couvertures de laine sans oublier des objets quotidiens, lampes, accessoires divers.
Il se contenta d’emporter une couverture et revêtit le costume qui le transporta dans un siècle où l’élégance était naturelle. Quelques pièces d’or et une bague ainsi qu’une parure qu’il destinait à sa mère complétèrent ce petit trésor personnel. Il reprit le chemin de la grotte pour y déposer toutes ces trouvailles qu’il qualifia à juste titre de merveilleuses.
Dans cet abri naturel si bien agencé, il eut une nouvelle surprise agréable. Une table chargée de mets odorants, bol de riz accompagné de crevettes, crabe décortiqué, poisson cuit sous la cendre et gâteaux qui exhalaient des parfums de noix de coco, réveilla son appétit.
Vite délesté de sa charge, il mangea cet assortiment gourmand tandis qu’Alba dévorait des bouchées de poisson cru et buvait de l’eau de source contenue dans un récipient de bonne taille.
Florian, de son côté, but un excellent breuvage à base de jus de fruits divers où dominait un parfum d’ananas sucré.
Après ce petit festin, Florian se reposa dans le fauteuil qui semblait avoir été fait pour lui, décidé à faire le point sur la situation. Alba ronronnait à ses côtés, prête à épouser le calendrier de l’adolescent. Ce qui étonnait le plus Florian, c’est qu’il avait l’impression d’être le héros d’un livre de contes. Il allait au gré de la fantaisie d’un auteur burlesque dont la création le plus phénoménale était cette admirable panthère, Alba la reine de l’île.
Cette mise au point faite, Florian se décida à repartir vers le rivage. Il espérait qu’un voilier se profilerait à l’horizon et qu’il retrouverait une vie normale. Avisant un sac de marin, il l’emplit de ses trésors, escomptant le grossir de quelques pièces supplémentaires en fouillant le coffre. Pratique, il n’oublia pas de se munir de quelques pains et d’une gourde d’eau fraîche.
Sautoirs de perles, rivières de diamants, broches en or ciselé, objets de nacre dont un miroir qu’il destinait à sa mère grossirent le trésor auquel il ajouta une grosse poignée de pièces d’or. De quoi vivre sans souci financier jusqu’à la fin de ses jours ! Pensant surtout à ses parents qui avaient investi toutes leurs économies pour acheter le voilier, Florian marcha sur une route qui lui semblait triomphale. Ses efforts furent récompensés car des cris de joie retentirent au loin. C’était son dauphin ! Il l’aurait reconnu entre mille tant ses cris étaient empreints d’amour. Florian embrassa Alba entre ses deux yeux mordorés et il entra dans les flots.
Enfourchant le dauphin, il fut à peine étonné de se voir déposer près de l’échelle de corde du bastingage du voilier. Il grimpa, toujours lesté du précieux sac et tomba dans les bras de ses parents. Le dauphin fit des bonds de joie puis partit retrouver ses compagnons.
En guise d’explications, Florian déversa le contenu du sac et raconta ensuite les péripéties de son aventure.
« C’est curieux, dit son père, cette île n’est pas répertoriée sur l’atlas océanique dont je dispose. Qu’importe, dit Florian, j’en retrouverai le chemin mais à présent, je n’ai pas envie de vous quitter ».
Ils décidèrent de revenir dans leur pays d’origine et d’utiliser au mieux les richesses considérables dont ils étaient gratifiés.
Heureux de leur bonheur, Florian s’empressa de noter les caractéristiques de l’île. Il prit un carnet de dessins et croqua Alba, la malle aux trésors, la grotte.
De nombreuses questions restaient en suspens, notamment l’identité des personnes qui avaient meublé et décoré la grotte ainsi qu’aux ordonnateurs du festin. D’où provenait le trésor et enfin pourquoi l’île restait-elle inconnue à ce jour ?
À cet instant, un oiseau bleu déposa sur sa table de travail un parchemin sur lequel il lut, écrit en lettres poudrées d’or le message suivant : « Écris, Florian, c’est ta destinée ! À toi de recréer le monde de l’île oubliée ! ».


[1] Alba : adjectif latin, signifie blanche

La théière en argent




Alors qu’elle se frayait un chemin dans les souks de Marrakech, Latifa entendit une petite voix qui se voulait suppliante : « Achetez-moi par pitié ! Dieu vous le rendra ! » Elle finit par trouver l’émetteur. C’était une magnifique théière en argent, exactement l’objet qui lui manquait pour offrir à ses invités la touche finale raffinée et délicate de tout repas festif. Elle marchanda pour l’usage et mit le bel objet soigneusement emballé dans du papier de soie dans son couffin.
Pour faire bonne mesure avec son opération coup de cœur, elle acheta également des colliers de perles « mignonnettes » réalisés artisanalement, de la menthe et de la verveine pour étrenner la théière et enfin quelques pâtisseries orientales dont elle raffolait !
Elle partit d’un bon pas vers son Riad car elle savait que la cuisinière avait préparé une excellente pastilla aux pigeons, son plat préféré qui ne souffrait pas de retard.
Les aiguières d’eau de rose circulèrent autour de la table ronde en argent massif. Après ces ablutions, chacun se servit délicatement d’une part raisonnable et dégusta ce mets princier.
De la crème parfumée à la fleur d’oranger et parsemée d’amandes effilées dorées au four contribua à plonger les convives dans une atmosphère gourmande. Enfin la théière apparut. Sa splendeur éclata, reléguant les pâtisseries à un rang inférieur.
Ce fut un émerveillement total lorsque la maîtresse de maison laissa couler le thé parfumé dans les verres filé or.
On eut l’impression que des anges volaient dans la pièce, jouant à cache-cache dans les lourdes tentures de brocart.
Après le départ de ses hôtes, Latifa connut une minute de bonheur. Lorsque toute la vaisselle fut lavée et remise en place, Latifa déposa en secret un baiser sur la théière qu’elle considérait comme un objet magique.
Elle eut une nuit sans nuage mais elle fut brusquement tirée de son sommeil par un cri : « On a volé la théière ! » Latifa enfila sa robe de chambre et courut à la cuisine. Elle constata l’absence de l’objet tant aimé mais s’empressa de réconforter la jeune femme : il n’était pas question qu’elle la soupçonne. « Le problème trouvera sa solution » dit-elle avec assurance.
À cet instant, le heurtoir indiqua qu’elles avaient une visite. Elle ouvrit la porte et découvrit une ravissante petite fille richement vêtue. L’enfant se précipita dans ses bras ce qui inonda le cœur de Latifa. Elle n’avait jamais pu avoir d’enfant et son mari avait cédé aux menaces de sa famille. Il avait prétexté un voyage d’affaires à l’étranger pour briser les malentendus, laissant à sa femme bien aimée le soin de résoudre leur problème. « Je serai votre fille, mère, si vous le souhaitez car j’ai été enlevée à ma famille et transformée en théière d’argent par un marabout. Il y a si longtemps ! Mes parents sont certainement morts. L’enchantement devait prendre fin grâce à un baiser, ce dont vous m’avez gratifiée. Je me nomme Bahia ». L’enfant se laissa conduire dans la chambre qui avait été préparée jadis pour l’héritier de la maison. Latifa l’avait laissée intacte avec son confort et ses jouets.
Par la suite, Bahia sut se faire apprécier. Intelligence, beauté et gentillesse formaient sa personnalité et la rendaient attachante.
 Ayant conscience qu’elle ne pouvait pas raconter à son mari un semblable conte, Latifa résolut de lui présenter la petite fille par le biais de l’adoption. Elle lui envoya plusieurs photos et messages par son portable. Son mari fut enchanté par cette solution si agréable à leur problème et abrégea son séjour. L’enfant fut rapidement adoptée et pour briser toute question concernant la théière en argent, Latifa se rendit au souk et acheta un ustensile plus rutilant encore. Elle fut soulagée de n’entendre aucune petite voix l’implorer. Bahia devint l’enfant de la maison et rendit le bonheur à toute la famille.
De plus, quelques mois plus tard, Latifa eut la certitude qu’elle était enceinte et qu’un bébé naîtrait bientôt dans ce Riad ensoleillé.